Ma vie en région : Samuel Parisé

Après avoir longé pendant des kilomètres la route édénique débouchant sur Percé, nous sommes accueillis chaleureusement par l’agente émérite de Place aux jeunes, Stéphanie Roy, qui est accompagnée d’un jeune ambassadeur de la région, Samuel Parisé. 

Stéphanie Roy, agente Place aux jeunes Rocher-Percé et Samuel

Le moins que l'on puisse dire, c’est que la visite est bien reçue à la vieille usine de L’Anse-à-Beaufils ! À peine attablés, on nous rafraîchit avec une bière de saison du Pit-Caribou et nous dégustons leur incontournable galette de morue salée séchée.

La terrasse, l’intérieur du restaurant et même le stationnement sont pleins à craquer.

À droite et à gauche, on entend les gens s’esclaffer et rire de bonne foi. On a l’impression que le temps s’est arrêté. C’est comme si le stress des grandes villes était demeuré embouteillé à des centaines de kilomètres dans l’odeur du bitume. Ici, on respire l’air frais; on respire le moment présent.

Pourtant le lieu où nous sommes réunis a déjà été synonyme de désolation, comme l’illustre la page web du restaurant :

« L’usine de morue de L’Anse-à-Beaufils ferme définitivement ses portes en 1986. Un centre de pêche moribond, des infrastructures portuaires presque abandonnées, des bâtiments à valeur patrimoniale en dégradation ainsi qu'un contexte économique plutôt défavorable ont sonné l'alarme d'une détérioration irréversible de l'environnement physique et social de L'Anse-à-Beaufils ». 

Chapeautée par Tourisme Anse-à-Beaufils, un organisme sans but lucratif, la vieille usine accueille maintenant des spectacles de haut niveau et sert de vitrine pour une pléiade d’artistes locaux. L’innovation des gens du coin a insufflé une nouvelle mouture à l’économie.

Mais revenons-en à nos hôtes, particulièrement Samuel. Son histoire peut sembler banale. En quelques mots, c’est un enfant de Gaspésie qui a grandi au milieu des touristes, des pêcheurs et de la mer. Il s’est extradé pas trop loin, à l’Université Laval, le temps de cueillir un diplôme, avant de refleurir dans la réconfortante chaleur de sa baie maternelle.

Pourtant, croyez-moi, banaliser ce récit serait un affront et un manque de lucidité face à l’âme complexe et unique des Gaspésiens.

Certains touristes vivent leurs escapades au rythme de leur métropole. Ils sont pressés d’engloutir un homard; s’impatientent sur un segment de la route où ils ne peuvent pas dépasser, ils sont en retard pour le traversier, hâtés de prendre congé de leurs vacances. Si vous appartenez à cette espèce, vous pouvez cesser votre lecture ici.

Sinon, déposez un microsillon zen sur le tourne-disque, rafraîchissez-vous du breuvage de votre choix et laissez vos yeux dévaler le récit de Samuel.

Remontons un peu les aiguilles du temps.

Samuel était un petit bonhomme de 13 ans en 2010 quand il s’est lancé sur les traces de l’entreprise familiale.

De père en fils, depuis trois générations on fait dans la construction et l’excavation chez les Parisé. C’est le grand-père de Sam qui a fondé cette pierre d’assise familiale.

Se sachant peu doué manuellement, le jeune homme était néanmoins décidé à donner tout ce qu’il pouvait pour contribuer au succès de la compagnie à titre de fier héritier.

“J’ai travaillé six heures pour l’entreprise. À la fin de la journée, j’ai écrit une lettre de démission et je suis parti. La construction ce n’est pas pour moi.”

Pourtant, Samuel est un ardent ouvrier.

À 13 ans, il connaissait par cœur les 457 portes de son village bucolique, Port-Daniel-Gascons : « je sais qu’il y a 457 maisons, parce que j’y ai passé le journal Le Havre pendant quelques années ». 

Outre cet emploi, il gravissait les échelons pour devenir l’animateur de bingo à l’aréna. Un incontournable loisir pour les oncles et tantes de Gascons en 2010. « Ça fumait tellement que je ne voyais pas les tables du fond », se remémore-t-il.

À l’école, on l’avait élu représentant de classe. Il recueillait des dons et siégeait au conseil d’administration de la Maison des jeunes, il était commis d’épicerie, en plus d’être bénévole pour le festival de la pêche à Gascons sans oublier l’emploi de pompiste qu’il venait de dénicher.

D’ailleurs, quand des touristes impétueux dont nous faisions mention plus haut s’attardaient à la station de Sam, ce dernier s’amusait un peu.

-       Coudonc, c’est où Paspébiac ?

-       Prochaine lumière à droite.

Une prochaine lumière qui n'apparaîtrait qu’après 35 minutes de route.

« Les gens qui prennent le temps de te jaser et qui s’intéressent à ton mode de vie et à ta culture, on les aime. On va leur faire découvrir nos recoins les plus chers à nos yeux. Mais, assimile notre rythme quand tu arrives ici », conseille le jeune homme en parlant des nombreux visiteurs qui s’offrent la Gaspésie en cadeau.  

« L’hospitalité en Gaspésie, ça fait partie de nos valeurs profondes et il n’y a absolument rien que tu peux faire contre ça », confirme Stéphanie.

« Si tu viens chez nous et que tu as pris un verre, tu vas me texter quand tu vas arriver chez vous, sinon bien moi, je ne vais pas dormir. Puis, si tu as pris plus d’un verre, bien tu vas rester à coucher ici et c’est tout », renchérit Samuel aux propos de l’agente Place aux jeunes. 

Ce qui ressort de ce coin de pays bercé par la mer, c’est que tout le monde a un rôle à jouer. Les gens veillent les uns sur les autres et le lien qui unit les Gaspésiens est très fort. S'éloigner pour étudier représente souvent une étape nécessaire pour les jeunes comme Samuel, mais c’est un déracinement difficile.

« Ce qui m’a manqué le plus quand je suis parti d’ici ? C’est que ce n’était pas Mireille qui me servait mon pain à l’épicerie, ce n’était pas Michel qui mettait l’essence dans mon auto à la pompe et ce n’était pas Martine la postière.»

Après avoir mérité une bourse d’études du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Gaspésie, Samuel a quitté la Gaspésie à 20 ans pour aller étudier à l’Université Laval. Le petit gars du coin que tout le monde connaissait est soudainement devenu un étudiant parmi tant d’autres.

L’enfant qui a reçu son éducation primaire dans une école de 60 élèves se retrouvait maintenant assis dans une classe de 250 personnes.

« En Gaspésie on aime la proximité. En secondaire 5, j’étais président de l’école, mais j’avais le numéro de ma directrice, je pouvais la texter le soir. Là, ma professeure ne me connaissait même pas. » 

C’était le 11 mars 2020, l’aiguille indiquait précisément 16h quand Sam a appris la nouvelle : à cause de la pandémie, son stage était désormais terminé.

“Je ne voulais pas vivre le confinement entre les quatre murs de mon appartement à Québec, j’ai fait mes valises et je suis parti.”

Après deux ans d’exil au pays de l’anonymat, Samuel était fraîchement de retour en Gaspésie quand nous l’avons rencontré et déjà, il venait de se porter acquéreur d’une maison.

« Je n’aurais jamais eu les moyens de faire ça ailleurs. »

Le Gaspésien d’origine n’a pas perdu de temps à reprendre une vie très active dans son milieu.

Il nous explique ses multiples implications, la maîtrise qu’il amorce en plus d’un nouvel emploi exigeant au CISSS.  Il me cite alors une phrase marquante qui résume sa philosophie.

« N’oublie jamais que les diamants sont forgés sous pression. »

Après une heure d’entrevue, une bonne bière dans le gosier et une franche camaraderie à la table, je risque une question sur sa vie amoureuse. Samuel prend un peu de recul, s’apprête à répondre, puis le haut-parleur se met à jouer : « Célibataire, je commence à m’y faire », d’Hugo Lapointe. Nous poussons un hurlement de rire.

« J’espère que ce moment va se retrouver dans ton texte », m’implore alors Stéphanie.

Ce qui m’amène à une dernière question qui me taraude l’esprit. À quoi peut bien servir Place aux jeunes pour un quelqu'un comme lui très enraciné dans son milieu ?

« Stéph a des contacts que moi je ne peux pas avoir. Elle m’a aidé à tisser des liens avec des gens. », souligne-t-il.

« Comme il était déjà promu à un emploi au CISSS, on a vraiment axé le séjour sur son implication citoyenne, poursuit l’agente Place aux jeunes. Il a rencontré le personnel du Carrefour jeunesse-emploi et maintenant il y occupe un siège au conseil d’administration. »

En guise de conclusion, Samuel insiste sur le fait que n’importe quel jeune qui veut revenir dans sa région devrait prendre le temps d’appeler son agente ou son agent.

“Stéphanie a des ressources inimaginables et elle connaît tellement son milieu. Ça aurait été une erreur de m’en passer.”
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