Ma vie en région : Michel et Bernadette

« La famille ne comprenait pas pourquoi nous voulions aller vivre dans un réfrigérateur », m’explique Michel Saïbo, au début de l’entretien. Le Réunionnais vient à peine d’aménager au Québec accompagné de sa bien-aimée Bernadette. Le tableau ne serait pas complet sans leur fille, haute comme trois pommes, cumulant cinq années au compteur. Mais ne vous y méprenez pas, Marie fait déjà partie de l’équipe des « grands », parole de Saïbo. 

Les feuilles valsent frénétiquement en cette douce journée d’automne. Marie joue à proximité, sous le regard attentif de ses parents. Ces derniers sont ravis de nous faire découvrir leur nouveau coin de paradis.

La famille Saïbo a posé récemment ses valises à Saint-Georges-de-Beauce, une ville qui offre le meilleur des mondes entre l’urbain et le rural.

Nous sommes envahis par l’odeur de feuilles mortes, tandis que les sept chutes de la rivière Pozer s’occupent de la mélodie.

Pour les Réunionnais, ce paysage a tout d’exotique.

Novembre qui s’installe, c’est un peu ouvrir la porte du garde-manger avec tous ses arômes enivrants. Bientôt, la fragrance « feuilles d’automne et graines de citrouille » cédera sa place à « cannes en bonbon et vin chaud à la cannelle ».

C’est exactement ce genre de raisons pour lequel les Saïbo se retrouvent devant nous, à des milliers de kilomètres de leurs proches, là où le soleil règne en roi et maître.

“C’est le goût de l’aventure et de la découverte, le désir de voir si l’herbe est plus verte ailleurs et surtout une panoplie d’opportunités d’emplois qui s’offraient à moi ici.”

Michel œuvre en maintenance industrielle pour Produits forestiers D&G. Quelques mois auparavant, il était à la tête d’une entreprise dans ce domaine. Il a tout fermé avant de quitter son île.

C’est une bien curieuse Fleur qui leur a insufflé ce rêve nomade, non pas une rose ou une marguerite, mais une ancienne colocataire. Fleur-Hélène Fouchange avait parcouru les innombrables kilomètres plus tôt vers le nouveau continent et leur avait parlé énormément du Canada.

« On en a discuté et on s’est dit pourquoi pas », confirme Bernadette avec une légèreté désarmante.

Le couple entama les démarches pour le Programme Vacances Travail, alias PVT. La loterie leur sourit à quelques mois d’intervalles et entre deux vagues de pandémie, ils foulèrent le sol beauceron pour la première fois.  

C’est à ce moment de l’histoire que l’agente de Place aux jeunes, Justine Lapierre-Poulin, fit une différence dans la vie des Saïbo.

Justine, agente place aux jeunes

« Si ce n’était pas de Justine, nous dormirions sur le plancher et n’aurions peut-être même pas de logement, reconnaît Michel. Elle a littéralement sauvé les meubles, surenchérit Bernadette en riant. »

Comme quoi le rôle d’un agent dévoué est versatile et surtout très axé sur le terrain.

“Elle a réceptionné nos meubles, fait nos premières courses et elle a multiplié les démarches pour m’aider dans ma recherche d’emploi.”

« Mais ça va plus loin que ça. C’est beau l’hiver, la neige et tout ça, mais il faut changer les pneus de la voiture, les balais d’essuie-glace. C’est beaucoup de détails auxquels nous n’aurions pas nécessairement pensé », poursuit Michel, avant de se faire couper la parole par la petite Marie qui apparaît avec une collection de feuilles multicolores.

Un brin gênée, la belle enfant nous confie qu’elle aime la garderie et qu’elle a déjà un meilleur ami. Mais elle préfère conserver l’anonymat sur l’identité de celui-ci. La neige ? Elle ne sait pas ce que c’est, elle a bien hâte de le découvrir.

Et puisque c’est lassant des questions d’adultes, après nous avoir fait l’honneur de sa présence pendant près de quatre minutes, elle retourne aux choses sérieuses : s'amuser dans les feuilles.

Son petit être transpire de bonheur, il n’y a pas de mensonge possible dans l’ingénuité de l’enfance.

Les parents nous mettent toutefois en garde.

Aujourd’hui, elle va bien. Elle s’est bâti un réseau, elle joue beaucoup avec les voisins et s’est ajustée à sa nouvelle vie. Mais, avant de partir de la Réunion, comme tous, elle a été coupée du monde pendant plusieurs mois en raison de la pandémie. Puis, ce fut un long voyage de 24 heures en avion et l’adaptation à des points de repère inédits. Sans pouvoir mettre des mots sur ses émotions, les crises étaient fréquentes. Les Saïbo ont accompagné sagement leur fille dans son cheminement et sont ravis de la voir s’épanouir désormais.

Nos protagonistes ont affronté d’innombrables péripéties, ils ont pris le pari de chambouler leur destin et celui de leur enfant.

Puisqu’un de nos buts avec notre série d’articles est d’aider les futurs nouveaux arrivants dans leur préparation et leur réflexion, nous risquons la fameuse question traditionnelle, mais nécessaire : si tout était à refaire…

“Oui, sans hésiter, m’interrompt Bernadette. C’est une belle aventure, poursuit son mari. C’est épuisant, c’est stressant, nous avons quitté nos familles et notre petit caillou de 800 000 habitants qu’on aime beaucoup. Mais, malgré tout ça, on le referait.”

Bernadette et Michel se sont rencontrés il y a 12 ans, sur leur « caillou » comme ils le surnomment si bien.

Cinq ans après leurs balbutiements amoureux naissait le fruit de leur union, Marie. 

Bernadette, Marie et Michel ont un point en commun, ce sont des enfants uniques.

Convaincre leurs familles que partir était une bonne idée s’avérait être un exercice périlleux. L’entreprise de Michel fonctionnait à plein régime. Les aventuriers devaient expliquer l’inexplicable. Cette envie, cette passion, cette piqûre, qu’ont les grands voyageurs, n’appartient pas au registre du rationnel.

Voilà pourquoi, quand on leur demande si tous les sacrifices en valaient la peine, le couple répond avec l’assurance d’Édith Piaf qu’ils ne regrettent rien !

Après avoir été chef d’entreprise, Michel repartait en bas de l’échelle chez Produits forestiers D&G.

« Les gars ne te cachent pas que tu peux évoluer. Ce sont les mêmes règles pour tout le monde. Ça va avec l’ancienneté évidemment et la capacité d’accomplir le travail », mentionne Michel qui a déjà obtenu une promotion.

Cette explication de la hiérarchie de l’emploi peut sembler banale. Toutefois, la réalité est distincte dans plusieurs pays comme la Réunion ou le marché est saturé. Les possibilités d’avancement, ou carrément d’amorcer une carrière sont limitées.

Malgré des efforts soutenus, quatre ans de démarches et un Bac+2 en administration (l’équivalent d’un Diplôme d’études collégiales), Bernadette ne parvenait pas à se tailler une place dans son pays d’origine.  Ici, elle s’est rapidement déniché un emploi, en moins de quatre mois, dans son domaine, au Centre intégré de santé et de services sociaux de Chaudière-Appalaches.

D’ailleurs, c’est la région du Québec qui affiche le plus bas taux de chômage avec 3,7%, au moment d’écrire ces lignes.

L’emploi et Place aux jeunes sont deux facteurs qui ont été déterminants dans l’établissement de la famille Saïbo à Saint-Georges, une petite ville que les Réunionnais ne connaissaient pas avant le grand voyage. Maintenant qu’ils y sont installés, ils aimeraient y vivre pour les dix prochaines années minimalement.

« Ici, nous avons la sensation du rural, mais en même temps nous sommes dans une ville, sans la pression urbaine. Nous avons tout à proximité, l'épicerie est à moins de trois minutes de voiture. Et puis, on veut aller faire du ski avec Marie, puisqu’il y a des pentes tout près, explique Michel, impatient de dompter l'hiver. J’apprécie la mentalité des gens du coin. Ils prennent le temps de vivre. Ils parlent de chasse, de bois, de nourriture, ça parle vrai, ça parle cru et ça, on aime ça », se réjouit-il.

À cet instant, Marie revient en courant vers nous en criant : « Je me suis fait deux nouvelles amies aujourd’hui ».

Rien de plus à ajouter, me dis-je, devant cet éloquent portrait de famille.  

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