Ma vie en région : Mariana Tiné

Notre voyage aux quatre coins du Québec nous conduit à l’extrême sud-ouest de la belle province, au cœur de la MRC du Haut-Saint-Laurent. Les images bucoliques défilent de part et d’autre. Des champs à perte de vue longent un fleuve serpentant. Une ferme centenaire fait irruption au milieu d’une verdure infinie. Une maison en pierre des champs, parfaitement ancrée dans le décor, attire ensuite notre attention. Quelques animaux épars achèvent de tapisser une toile digne des plus grands maîtres.

Parvenus au bureau de la MRC, nous sommes accueillis par une femme svelte au teint basané. De longs cheveux bruns coulent sur ses épaules et finissent leurs chutes au milieu de son dos. Son regard profond laisse transparaître une intelligence vive au creux de grands yeux nougats.

C’est bien elle que nous sommes venus interroger. Mariana Tiné, une nouvelle arrivante dans la petite municipalité de Huntington. Elle nous installe dans une vaste salle au rez-de-chaussée, avant de nous dévoiler son histoire.

Avertissement, ce que vous vous apprêtez à lire est une histoire de deuil, de résilience et d’immigration. Le témoignage que nous avons recueilli de Mariana soutient l’adage qu’à l’impossible, nul n’est tenu.

Ce récit débuta avec une fillette rêvassant à son avenir sur une plage du Brésil.

Baignant ses pieds dans l’eau salée de l’océan, les yeux rivés vers le large de l’Atlantique, elle fixait l’horizon. À vrai dire, elle s'amusait avec lui, elle le défiait et tentait de le percer comme bien d’autres enfants avant elle. Inflexible, malgré la persistance de Mariana, l’horizon demeurait insondable, indénouable, mystérieux.

Naïvement, la petite Mariana développait un attrait pour la nature et l’environnement qui l’entouraient, pendant que ses amis jouaient aux policiers et aux voleurs.

Elle grandissait au rythme des étés. Après tout, Recife, la ville où elle vit le jour, est bercée par un été perpétuel. La température moyenne du mois le plus froid de l’année se maintenant au-dessus de la barre des 23 degrés Celsius.

Enfant du milieu, Mariana partageait sa chaumière avec sa sœur aînée, sa sœur cadette, sa grand-mère, sa mère et son père.

Un brin de jalousie l’habitait quand elle voyait son papa, Francisco, trimballer sa grande sœur Lara lors de voyages en Europe et aux États-Unis.  

« C’est important de s’ouvrir sur le monde et de le comprendre », plaidait Fransisco.  

C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il obligea ses filles à apprendre l’anglais à l’école. Bien qu’elle n’aimait pas du tout ses cours dans la langue de Shakespeare, Mariana multipliait les efforts en espérant être la prochaine invitée à un rendez-vous sur le tarmac avec son père.

Mais le rendez-vous n’arriva jamais.

Mariana avait 14 ans quand son père fut terrassé par un accident cardio-vasculaire. On lui prodigua les premiers soins. Puis, il plongea dans un profond coma, avant de s’éteindre une semaine plus tard, entouré des femmes de sa vie.

Malgré la peine, Mariana traversa cette épreuve la tête haute.

Son amour pour la nature et l’environnement perdurait, elle s’accrochait à ses passions. Contre vents et marées, elle amorça des études en géographie.

« Mariana, qu’est-ce que tu vas faire avec un diplôme là-dedans ? Il n’y a pas de perspective d’emploi dans ce domaine ici. »

Ce genre de commentaire l’affectait, mais elle persistait.

Au travers de ses recherches, elle tomba sur un trésor; un livre de Paul Arqué publié en 1946 intitulé la géographie de la faim.

« C’est mon livre préféré. Il parle de la faim dans le monde selon les zones géographiques. L’auteur traite de la nutrition des gens selon la culture et l’élevage. L’idée est encore très à jour et c’est pour ce genre de concept que la géographie me passionne autant », explique-t-elle.

Pendant qu’elle plongeait la tête dans ses livres, sa sœur Lara poursuivait la tradition entamée avec son père; elle enchainait les voyages.

Lara s’installa au Québec avec son mari en 2007.

Trois ans plus tard, à l’été de 2010, Marianna rendit visite à sa sœur.

Le choc culturel la bouleversa dans le bon sens du terme : « Ça m’a prise par surprise. Je me suis dit que je devais venir vivre ici. J’aime mon pays, mais on n’a pas la même qualité de vie, et surtout pas la même sécurité. Avant 2010, je ne savais pas ce que c’était de marcher dans la rue sans avoir peur; le soir au Brésil c’est impossible. Jamais je ne me serais permis d’ouvrir les fenêtres en voiture au Brésil. Ça peut paraitre banal, mais ici, la première fois que je roulais avec les fenêtres ouvertes, j’ai éprouvé un immense sentiment de liberté. »

Découvrir le Québec quand le soleil est à son zénith c’est une chose, mais défier les rigueurs de l’hiver en est une autre.

Marianna multiplia alors les visites au pays de l’hiver.  

Elle apprivoisa tranquillement le climat, mais les obstacles étaient encore nombreux devant elle.

Comment ferait-elle pour s’intégrer ici ? Elle ne parlait pas un mot en français.

Elle s’attaqua donc à la barrière linguistique. Elle entreprit un voyage d’immersion de six mois en 2014.

Après Shakespeare, Molière n’avait qu’à bien se tenir. Elle perça les secrets de la langue française avec tellement d’aisance qu’en 2015, elle déposa une demande à l’Université de Montréal (UDM) au département de géographie pour y faire sa maîtrise.

Puis, elle retourna au Brésil où de nouveau, la faucheuse lui enleva un être cher.

Sa grand-maman rendit son dernier souffle à l’âge vénérable de 96 ans.

Mariana n’eut pas le temps de se remettre de ses émotions.

Une semaine plus tard, elle reçut une lettre de l’UDM.

Elle avait réussi l’impossible, voilà qu’elle était admise à la maîtrise, alors que six mois plus tôt elle ne parlait pas français.

Mariana quitta le Brésil, elle laissa même son fiancé pour se consacrer à sa nouvelle vie.

Mais avant de partir, sa mère, qui venait de faire un grand ménage, dépoussiéra un vieux livre dédicacé à son père : La géographie de la faim, le fameux ouvrage de Paul Arqué.

« Je ne savais pas s’il approuverait mon choix de carrière et de découvrir ce livre dédicacé, ça m’a tellement touché. C’est comme s’il me faisait un clin d’œil et m’encourageait à poursuivre dans cette voie », se remémore-t-elle, émue.  

Mariana aménagea à Longueuil avec sa mère, sa sœur Lara et sa nièce pendant qu’elle s'attaquait à ses études.

La Brésilienne qui rêvait d’espace vert s’adapta à la banlieue, mais la nature lui manquait.

Elle avait presque fini sa maîtrise à la fin de l’année 2017 quand une amie lui parla de Place aux jeunes : un service unique au Québec, voué aux jeunes âgés de 35 ans et moins qui désirent dénicher un emploi et s’installer dans une des nombreuses régions du Québec.

Sur le site web de l’organisme, une pléiade d’offres d’emplois défilait sous ses yeux, dont une qui retint particulièrement son attention. La MRC du Haut-Saint-Laurent recherchait une géomaticienne, cartographe.

C'était un emploi fait sur mesure pour elle, mais elle n’avait pas encore terminé son mémoire et elle ne possédait pas non plus de permis de travail pour exercer au Québec. Encore une fois, le rêve semblait impossible à atteindre.

Mariana prit le temps de contacter l’agente de Place aux jeunes qui s’occupait de ce territoire. Elle cultivait peu d’espoir, mais qu’avait-elle à perdre ?

À l’autre bout du fil, c’est la dynamique Fabienne qui lui répondit. Elle aussi était une immigrante qui avait traversé beaucoup d’étapes, avant de dédier son travail à aider des gens vivant des situations similaires.

“Elle m’a rassuré et elle m'a consacré beaucoup de temps. Elle a fait le pont avec l’employeur. J’ai été à l’entrevue et j’ai eu l’emploi. Je le dis et le dirai toujours, c’est grâce à Fabienne si je suis ici.”

Pendant près d’un mois, elle fit le trajet de Longueuil à Huntington, matin et soir.

De son côté, Fabienne mit la main à la pâte pour l’aider à trouver un logement.

Elle prit soin de Mariana et lui organisa un séjour personnalisé.

La nouvelle arrivante détecta ses points de repère dans la ville. Avec Fabienne, elle se procura les meubles nécessaires à son confort dans son futur logis et elle s'établit à Huntington au mois de décembre 2018.

Entre-temps sa thèse de mémoire fut acclamée par les membres du jury et elle obtint la mention du meilleur mémoire de l’Institut panaméricain de géographie.

« C’est drôle, quand j’étais enfant je disais : plus tard, je vais rester dans une petite maison, dans les champs et avoir une ferme. Aujourd’hui, je travaille avec l’environnement et la géomatique et je suis entouré de champs et de fermes.  C’est comme si mon rêve d’enfant se concrétisait en quelque sorte.  Ma prochaine étape, c’est de trouver ma petite maison, peut-être pas une ferme, mais une maison sur le bord de l’eau et je pense bien poser définitivement mes valises ici dans le Haut-Saint-Laurent », conclut Mariana.

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