Ma vie en région : Merveille Ekosso

Merveille : latin populaire *miravella, du latin classique mirabilia, choses étonnantes. Était-ce pour me préparer ? Simplement une intuition ? Je ne pourrais y répondre. Je m’étais amusé à lire la définition du mot « merveille » dans le dictionnaire Larousse quelques minutes avant mon entretien avec elle et son bébé. Il y a de ces prénoms fascinants. Le temps d’une vie, les humains qui les portent finissent par donner une signification plus pointue à leur nom propre qu’au nom commun qui s’y rattache. C’est totalement le cas de Merveille Ekosso.
Cette femme attablée devant nous ce matin-là, au restaurant La Desserte de Richmond, a traversé tellement d’épreuves qui auraient pu l’anéantir. Chose étonnante, elle est là, souriante, heureuse, fière de sa nouvelle vie et plus solide sur ses pieds que le roc de Gibraltar. Sans plus tarder, voici l’histoire de détermination et de courage qui a conduit Merveille vers sa terre d’accueil à Richmond.
Excellente joueuse de soccer, passionnée par la mécanique, seule femme dans un milieu d’hommes, cette surdouée a appris très tôt qu’elle devrait avoir une colonne vertébrale en béton pour se frayer un chemin à la hauteur de ses talents. Alors que son parcours universitaire tirait à sa fin, c’est justement une cimenterie qui lui a offert une première opportunité professionnelle.
Il faut savoir que les bons emplois sont une denrée rare dans son pays d’origine, la République du Cameroun. L’expression « pénurie de main-d’œuvre » relève de la science-fiction dans cette partie du monde au climat équatorial. Rapidement, les conditions de travail tournèrent au vinaigre pour la jeune Merveille. « Deux journées collées de congé, ça n’existait pas. Mais ce n’était pas ça le pire. J’étais la seule femme de mon département, ce qui n’aurait pas été grave, si l'on ne m’avait pas harcelée tous les jours. J’étais un jouet pour les hommes. Chacun me disait n’importe quoi à tour de rôle pour me dénigrer. J’aimais mon domaine, mais je ne pouvais plus continuer dans un environnement aussi hostile », se remémore-t-elle.
Pour mieux situer les lecteurs québécois, Merveille avait terminé avec succès l’équivalent d’un baccalauréat en génie mécanique suivi d’une maîtrise en administration des affaires. N’ayant pas froid aux yeux, la Camerounaise opta donc pour une entreprise où elle aspirait à avoir de meilleures conditions de travail : la sienne. « Mais c’était un autre calvaire qui m’attendait », témoigne-t-elle. Merveille s’associa avec d’anciens camarades de classe, dont son copain avec qui elle venait fraîchement de se séparer. « Il gardait espoir qu’on se remette ensemble. Mais, on avait trop d’antécédents. Je savais que ça ne marchait plus, alors je le repoussais constamment. Je croyais naïvement qu’on pourrait faire un bout de chemin professionnel, mais sans plus. »
Malgré cette situation précaire, la petite équipe d’entrepreneurs se mit à l’ouvrage. « Il fallait trouver des marchés. On faisait toutes sortes de projets. Toutefois, plusieurs clients ne nous payaient pas ou nous payaient très en retard. On perdait de l’argent à cause de ça. » L’ancien conjoint rebuté par Merveille en profita pour se venger. Il affubla le rôle de bouc-émissaire à celle qu’il avait aimée jadis. Les menaces fusèrent quotidiennement. On l’accusait de voler l’oseille. Si des clients ne payaient pas, c’était sa faute. Dès qu’une mésaventure advenait, c’était Merveille qui essuyait le courroux de ses partenaires. L’ambiance devint toxique. « Moralement, je subissais beaucoup de pression. J’étais seule contre mes trois associés. J’essayais de trouver des solutions, mais c’était menace par-dessus menace », déplore-t-elle.
Puis le harcèlement grimpa d’un cran. Désormais, on voulait attenter à sa vie. Ses partenaires lui firent savoir que ses « jours étaient comptés. » « Je n’étais plus en sécurité. J’avais très peur qu’on s’en prenne à moi », confie Merveille, terrorisée en repensant à ses douloureux moments. Elle sombrait tranquillement, quand elle entendit parler d’un séminaire offert au Québec pour les jeunes ingénieurs. « C’était ma porte de sortie. J’ai tout de suite entrepris les démarches pour obtenir un visa. » Et enfin, le destin lui sourit.
En un rien de temps, Merveille s’envola pour notre belle province. Si elle poussait un soupir de soulagement, elle se doutait néanmoins que les problèmes l’attendraient à son retour dans sa terre natale. « Le visa était valide pour six mois seulement, le temps du séminaire. Je savais que je devais rentrer à la maison ensuite. » Cette idée traumatisante hantait ses nuits. Plus les jours passaient, moins elle dormait. Insomniaque, anxieuse et désespérée, elle exposa sa situation à sa mère, Lydienne, qu’elle n’osait pas abandonner au Cameroun. « Je te préfère en vie au Canada que morte ici », insista-t-elle. Cette phrase lourde de sens enleva une tonne de pression sur les épaules de Merveille qui ne tarda pas à déposer une demande d’asile politique. De nouveaux horizons s’offraient alors à elle.
Après le séminaire à Montréal, la réfugiée devait multiplier les efforts pour survivre. Elle occupait trois emplois en même temps. Malgré tous ses diplômes, elle préparait des sandwiches le jour et emballait du maïs soufflé le soir. Merveille tentait de se frayer un chemin à Montréal. Mais sa ville d’adoption ne lui ressemblait pas : « Il y a beaucoup de gens à Montréal, mais il n’y a personne. Tu dis bonjour à ton voisin et c’est comme si tu voulais lui prendre quelque chose. » À ce moment, en plein cœur de l’hiver, Place aux jeunes orchestrait un important Salon de l’emploi en régions.
Plusieurs nouveaux arrivants, comme Merveille, se retrouvent naturellement à Montréal dès leur arrivée. La métropole ne leur convient toutefois pas nécessairement. Les 17 régions administratives du Québec offrent des avantages et soutiennent des secteurs d’emploi distincts. Le style de vie, l’équilibre entre la nature et la ville, la proximité de verdure, montagnes, forêts, lacs, océan varient d’un endroit à l’autre. L’organisme Place aux jeunes est passé maître dans l’art de diriger les nouveaux arrivants vers la région qui leur convient. Merveille se remémore la visite du salon qui a littéralement changé sa vie.
“Il y avait des agents de Place aux jeunes de toutes les régions. Chacun était plus sympathique que le dernier à qui j’avais parlé.”
« Plusieurs régions m’attiraient, mais je devais trouver du travail dans mon domaine. L’agente de Val-Saint-François m’a fortement orientée vers un autre salon de l’emploi qui avait lieu dans sa cour à Richmond et où les emplois dans mon domaine pullulaient », explique-t-elle. L’agente en question qui a soutenu Merveille dans ses démarches est Catherine Beaucage. Au moment d’écrire ces lignes, elle est à l’emploi de l’équipe nationale de Place aux jeunes; évolution logique pour l’une des agentes les plus proactives du réseau. Lors du salon de Richmond, Merveille avait repéré trois entreprises qui l’intéressaient.
“Catherine m’a mise en contact avec les personnes concernées pour que je leur envoie directement ma candidature. La stratégie a fonctionné, j’ai eu des réponses sans tarder.”
Malgré son statut de réfugiée, elle n’était peut-être pas condamnée à multiplier les petits emplois qui n’avaient rien à voir avec son parcours académique. La possibilité d’une vraie vie avec une vraie carrière dans une jolie région du Québec devenait tangible. Catherine et Merveille ont ensuite planifié une journée d’entrevues en même temps qu’un séjour exploratoire, pour lui faire connaître la région. « À la fin de cette journée-là, je suis montée dans l’autobus vers 22h30 pour retourner chez-moi et j’étais complètement brûlée, se souvient Merveille. J’ai eu la main heureuse parce qu’en incluant toutes les démarches, j’ai passé 15 entrevues. Sur le lot 13 m’ont rappelée pour m’offrir un travail ».
Le contraste est frappant si on compare la situation de l’emploi dans la République du Cameroun, où les occasions professionnelles étaient beaucoup plus rares. Enfin, Merveille touchait à son paisible rêve. Toutes les pièces du casse-tête s’assemblaient. Elle entrait dans son logement à Richmond le 30 mars et le lendemain elle commençait son emploi. Cependant, le mauvais sort semblait s’acharner sur elle qui se retrouva à la rue 11 jours plus tard. Les yeux dans l’eau, elle regardait, incrédule, son appartement ravagé par les flammes. « Je ne pouvais m’empêcher de me demander si c’était mon passé qui me rattrapait », s’émeut-elle encore en y repensant. Heureusement, une travailleuse sociale du CLSC l’a aidée à reprendre confiance en elle. La Croix-Rouge l’a logée à l’hôtel de la gare un certain temps.
Puis, Merveille a fait la rencontre de Josée, une jeune retraitée de Richmond qui lui a offert de bon cœur son logis jusqu’au premier juillet. « Elle m’a permis de me remettre sur pieds. J’ai repris vie à Richmond », assure-t-elle. Quelques années ont passé depuis l’exode de son pays, l’incendie et son intégration au cœur de la magnifique région des Cantons-de-l’Est. Merveille a fait son chemin dans sa ville d’adoption, elle a porté et donné le cadeau de la vie à son bébé Yehou.
La jeune maman contemple son parcours avec un certain détachement désormais. «Avant je ne pouvais pas raconter cette histoire. Maintenant, ça fait partie de ma vie. Je me sens très acceptée ici », conclut-elle.
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